L’heure du T
Ne la cherchez pas forcément sur Tinder, ou sur Meetic, mais, surtout, prenez soin d’elle si vous l’avez déjà rencontrée. Miss T est spéciale, insaisissable, parfois imprévisible, mais vous devez absolument faire sa connaissance. Il en va, peut-être, de votre avenir, du succès de vos grands projets de transformation, et de notre transition vers une société plus durable et plus vivable.
Pour ma part, je l’avoue, il y a bien longtemps que j’ai pris la route du T mais si vous n’êtes pas tenté par les aventures, que vous refusez le progrès, restons-en là. Si, au contraire, vous souhaitez passer de la résilience à la renaissance, ne sortez plus sans T !
Mais qui est donc Miss T ?
Enveloppe T
On ne la remarque pas toujours, ou bien on la remarque trop. Ni boomeuse, ni milléniale, ni polytechnicienne, ni universitaire. Pas plus X, que Y ou Z, Miss T est transgénérationnelle, polyvalente, polymathe et atypique. Une précieuse enveloppe trop rare, et souvent négligée. De celles qu’on n’ouvre pas, qu’on jette parfois à la corbeille. Grosse erreur.
Inclassable, et souvent mal casée. Miss T n’entre, en effet, pas dans les normes des organisations et des institutions traditionnelles. Elle pourrait se contenter d’être simplement Miss I, experte d’un seul domaine vertical. Facile à caser, facile à gérer. Ou bien, au contraire, être un trait d’union, généraliste, sans réelle spécialité. Mais, assoiffée d’expériences multiples, Miss T a choisi de déployer ses ailes, quitte à se les bruler. D’associer une expertise très profonde (barre verticale du T) à des compétences ou aptitudes transverses beaucoup plus étendues (barre horizontale du T).
Pour quelques civilisations anciennes la lettre T que nous connaissons s’exprimait avec des caractères très proches des symboles de l’addition (+), ou de la multiplication (X). C’est toute la promesse d’une personnalité en T. Sortir de sa zone de confort, additionner les compétences, démultiplier les potentialités, et les opportunités de création de valeur, en offrant aux organisations une forte expertise d’un ou de plusieurs domaines, couplée à des qualités et aptitudes transverses. Un appétit équilibré tant pour les humanités que pour les sciences et les technologies. Des capacités concrètes en termes de questionnement, de veille, de communication, de négociation, d’écoute, de diplomatie, d’analyse, de synthèse...Des qualités personnelles en matière de diversité, de créativité, d’agilité, d’adaptabilité, de flexibilité… Des aptitudes qui ne s’enseignent pas toujours mais qui s’acquièrent, parfois par nécessité, mais le plus souvent par envie.
Ces profils, pourtant en phase avec les exigences des entreprises du futur, qui se construisent au rythme de la trop rapide transformation numérique et de la trop lente transition énergétique, sont encore trop rares dans les organisations encore largement dominées par des structures en silos, où, de surcroît, l’évolution des experts ne peut se concevoir en dehors des rôles de management.
Il ne s’agit pourtant, pas tant de rechercher ou d’essayer de fabriquer des moutons à cinq pattes que de faciliter et de valoriser l’émergence de telles aptitudes au sein des organisations et de nos institutions. Et, d’admettre que cela peut se stimuler, à défaut de s’enseigner, au cœur même de notre système d’éducation. Encore faut-il le vouloir.
Car, il faut que je vous le dise, et cela ne va pas plaire à tout le monde, Miss T est surtout une sacrée curieuse. Un vilain défaut ? Certainement pas ! La curiosité est son meilleur atout. Et, je dois l’avouer, c’est ce que je préfère en elle.
Curiosité : ma tasse de T
La Renaissance (au sens large) est une époque où on pouvait être à la fois artiste et mathématicien, philosophe et médecin, alchimiste et astronome. Une époque de progrès et d’humanisme où les frontières entre les disciplines n’étaient pas aussi marquées qu’aujourd’hui. Avec, à la clé, un vaste cortège de découvertes artistiques, culturelles, technologiques, scientifiques et géographiques, qu’il serait trop long de décrire ici, mais qui marquent la fin de ce que certains appelaient l’âge sombre.
Des découvertes marquées aussi par la curiosité de trop rares individus érudits souvent confrontés à la rigidité des institutions politiques ou religieuses qui les invitaient plus ou moins fermement à réfréner leurs appétits et à ne pas ouvrir la boite de Pandore. Ces inquisitions, ces inhibitions face à la curiosité restent encore très profondément ancrées dans nos inconscients collectifs et expliquent peut-être les freins organisationnels et institutionnels rencontrés par les profils atypiques et curieux comme Miss T.
Nous pourrions en débattre longuement. Je m’attarderais juste sur deux points.
La curiosité est synonyme de plaisir : plaisir de la découverte, plaisir d’apprendre, de s’informer, plaisir de se développer, de se cultiver, d’aller vers l’autre… Autant de qualités en apparence indispensables, pourtant, le plus souvent sacrifiées sur l’autel de la productivité. La réconciliation du travail et du plaisir reste suspecte dans de nombreuses organisations en dépit des annonces de certains DRH et autres Chief Happiness Officers.
La curiosité c’est aussi le goût du risque doublé d’une endurance, caractérisée par une soif de connaissances inextinguible qui ne s’arrête pas face à l’inconnu ou à l’inexpliqué. La curiosité ne fait donc clairement pas bon ménage avec l’inertie qui domine certaines structures organisationnelles ou institutionnelles. Ce qui pourrait apparaitre comme des qualités précieuses pour des leaders inspirés devient intolérable pour des décideurs sans ambitions qui peuvent très vite se retrouver dépassés. Malheureusement la curiosité, ce pouvoir de savoir, n’est pas toujours soluble dans les savoirs du pouvoir.
La curiosité, promesse de plaisir, de prise de risque, d’endurance (tout un programme !), s’accommode mal de certains styles de management et d’organisation. Je reste convaincu que c’est une erreur. Quelques rares organisations en ont pris la mesure. Ce n’est pas une surprise de les retrouver régulièrement citées comme exemples.
Humanités pour l’humanité
Un minuscule virus nous a cruellement rappelé à quel point notre société est devenue complexe, fragile, anxiogène, incompréhensible et soumise à des ruptures inopinées. Si l’épidémie a réinstauré quelques pratiques sanitaires qu’on pensait réservées à l’âge sombre, il est peut-être temps d’insuffler l’idée d’une nouvelle renaissance, mêlant humanisme et curiosité, dans nos pratiques organisationnelles et institutionnelles.
Technologies, transformation, transition… Les mots en T ne manquent pas pour nous encourager à être toujours plus curieux. Pour réimaginer notre futur, le redessiner, le réinventer en étant, tour à tour, artiste et ingénieur, philosophe et mathématicien, psychologue et architecte, historien et physicien. Et, plus que tout, remettre l’innovation au service du progrès. La curiosité, une chance pour l’humanité ?
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Un excellent article comme toujours. J'invite les lecteurs qui ne connaissaient pas les écrits de Mouloud Dey de lire ses autres articles sur Hidden Insight.